Le chardonneret élégant suscite beaucoup de passions et de débats. Il alimente des articles de presse qui disent beaucoup de choses, et notamment mettent en lumière le braconnage dont est victime cette ravissante espèce au chant célèbre.
Mais qu'en est il exactement ? Cette espèce est-elle vraiment menacée ? et où ?
Avec Kamel LATRECHE, Président d' Espèces Indigènes Exotiques, membre de ProNaturA-France et auteur du livre " le chardonneret élégant, le ténor des petits passereaux " - voir article Smartrezo- , démêlons le vrai du faux.
1 - Le chardonneret élégant est - il braconné autant qu'on le dit ?
D 'abord, de quand date cette pratique ?
Le chardonneret élégant - Carduelis carduelis - et ses sous-espèces sont chassés depuis des siècles.
Précisons qu'il existe plusieurs sous espèces :
Chardonneret ( Photo JB MOUTTET)
- Celle élevée principalement en France : (Carduelis carduelis frigoris), sous-espèce chardonneret élégant de Sibérie
- Celle du Mahgreb : sous- espèce Carduelis carduelis parva
- Celle d'Angleterre : Carduelis carduelis britannica (les zones mélaniques sont beaucoup plus sombres que la forme nominale).
Plusieurs ouvrages attestent ces captures :
au XVIe siècle dans "Les Observations de plusieurs singularités et choses mémorables " du naturaliste français Pierre Belon
au XVIIIe siècle dans " Nouveau traité des serins de Canarie", par Jean-Claude Hervieux de Chanteloup
et aux XIXe siècle dans "Monographie du chardonneret" par Nérée Quépat…
En Angleterre, par exemple, des milliers de chardonnerets étaient braconnés, principalement la sous-espèce "Carduelis carduelis britannica".
Aussi, quel est leur prix ?
Contrairement à ce qui est parfois écrit, un chardonneret classique élégant (forme nominale), qui niche en France, né en captivité, a une valeur d’échange de 50 à 100 euros l’unité.
Les prix faramineux de 1 000 euros, voir plus, pour un chardonneret élégant capturé en France, indiqués dans des articles journaux, sont totalement faux. J’ai moi-même accompagné un journaliste au Marché aux puces à Marseille. Il a constaté les prix qui varient entre 20 et 100 euros, avec une moyenne de 50 euros pour l’oiseau capturé.Pour le détenir en captivité, il faut avoir toutes les autorisations administratives.
Mais nous éleveurs devons être vigilants en n’étant pas compatissants avec les braconniers.
Ensuite, le chardonneret élégant est-il en voie de disparition dans le monde et en Europe ?
Le Carduelis carduelis n’est pas en voie de disparition dans le monde ni en Europe.
Si on consulte la Liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN), son statut est en "préoccupation mineure "« LC ». Et il y aurait entre cent un et cent cinquante millions d’individus adultes dans le monde, selon .
MAIS en France, il fait partie des espèces menacées sur le territoire français. Son statut est vulnérable « VU », selon l’UICN.
Et il est en voie de disparition en Afrique du Nord.
La sous espèce Carduelis carduelis parva est menacée de disparaitre.
Sa population chute dangereusement. Le chardonneret du Maghreb a pratiquement disparu en Tunisie et en Algérie.
Les causes sont multiples.
Mais le braconnage y est en effet la cause principale. Car il y est très apprécié par son chant mélodieux. Des milliers de chardonneret "parva" sont braconnés au Maroc pour approvisionner les amateurs de chant en Algérie et Tunisie. La situation est très préoccupante.
« À l’heure actuelle, l’espèce a disparu de plus de 50 % de son aire de répartition en Afrique du Nord. » (Khelifa et alii, 2017.)
- Pourquoi cette disparition au Maghreb ?
Chardonneret de Maghreb ( Carduelis Carduelis Parva ) - Photo Kamel LATRECHE
Les amateurs de chant apprécient majoritairement le ramage du chardonneret élégant du chardonneret du Maghreb - Carduelis Parva , et non celui indigène à la France : Selon eux, les notes sont plus mélodieuses. Certaines notes sont typiques du chardonneret d’Afrique du Nord.
Exemple : le " pliwpliw."
Le chant du chardonneret élégant de France est moins apprécié car il a la note du pinson des arbres :
" zing zing ". C’est un gros défaut à leurs yeux.
Mais certains amateurs de chant en France capturent des jeunes chardonnerets au nid.
Puis ils " l' écolent " avec un chardonneret maitre chanteur du Maghreb , au chant sauvage dit “khawli”, ou avec un enregistrement audio dit “copia” .
Son ramages si mélodieux fascine : Des amateurs de chants passionnés arrivent différencier seulement en écoutant un chant sauvage de chardonneret parva d’Espagne et un chardonneret parva du Maghreb. La richesse du "Carduelis carduelis parva" c’est la variabilité de phénotype et de son chant.
Charles Vauries éminent scientifique dit « Aucun autre groupe de populations de l’espèce n’a fait l’objet d’un examen aussi approfondi dans la littérature, avec une attention particulière pour les populations d’oiseaux et autant d’affirmations et d’opinions contradictoires. »
Les anciens amateurs de chardonnerets parva dans le sud de la France arrivaient à différencier un chardonneret parva d’Europe et celui d’Afrique du Nord pratiquement au premier coup d’œil.
Car contrairement à certains amateurs spécialisés sur la sous espèce indigènes de leurs pays, les amateurs du sud de la France ont pu observer des parvas de toute son aire de répartition. Ce qui explique que cette sous-espèce, particulièrement l’ancien paratype «africanus», disparaisse hélas de son milieu naturel en Afrique du Nord.
- Le braconnage, seule cause de la chute de population du chardonneret élégant ces dix dernières années en France ?
Les études scientifiques montrent bien que plusieurs causes font chuter la population de ce petit passereau nicheur en France.
Chardonneret Major - Agathe - Photo Kamel LATRECHE
*Modifications de l' habitat
- Vers le XIXe siècle, il n’y avait pas toutes les autres causes de diminution de population du chardonneret élégant : destruction des jachères en hiver, réduction de leur habitat, utilisation de produits phytosanitaires qui sont beaucoup plus fréquemment utilisés et plus nuisibles sur l’environnement aujourd’hui.
- « Comme de nombreux passereaux granivores communs, cette espèce subit un déclin marqué de ses effectifs en France, avec une réduction constatée de près de 40 % sur ces dix dernières années. Cette situation est due à la modification des pratiques agricoles, en particulier le net recul des jachères et des chaumes hivernaux, qui constituent une importante source d’alimentation. Le braconnage, avec probablement des milliers d’oiseaux capturés chaque année, renforce la régression de ce passereau. » (Source : document la Liste rouge des espèces menacées en France.)
et « L'obligation faite aux agriculteurs de broyer les jachères en hiver, détruisant ainsi les ressources alimentaires de cette espèce (notamment les chardons), est une des causes probables du fort déclin constaté en France. Le piégeage (illégal !) a également été invoqué pour expliquer ce déclin, qui ne se retrouve pas à l'échelle européenne, ni en Grande-Bretagne. Cela étant, cette différence de tendance reste encore mal expliquée. » https://www.vigienature.fr/fr/chardonneret-elegant-3395
Réponse de Benoit Fontaine, scientifique au Muséum :
« Bonjour,
Nous n'avons pas de données sur le braconnage, mais il est probable que le déclin du chardonneret est en partie lié à cela.
Les petites différences de déclin entre espèces sont difficiles à expliquer précisément, et sont probablement dues aux différences écologiques et aux différences d'aires de répartition. En Grande-Bretagne, le chardonneret est aujourd'hui en expansion : pour le BTO, cette tendance est peut y-être liée au nourrissage hivernal, effectivement plus répandu que chez nous."
*Prédation par les chats domestiques
L’ornithologue français Maxime Ducas - ’émission radiophonique de France Inter- : le chat domestique causerait la mortalité induite par l’homme la plus élevée (« La disparition des oiseaux », 15 septembre 2015, par Mathieu Vidard).
- Est-ce que le chardonneret élégant est le fringillidé le plus menacés en France ?
Non selon les données scientifiques de baisse de population d’espèces de fringillidés, c’est le verdier d’Europe.
Voilà quelques chiffres :
Verdier d'Europe -50 tendance 2001-2019
Serin cini -41,7 tendance 2001-2019
Bouvreuil pivoine -33,2 tendance 2001-2019
Chardonneret élégant -30,8 tendance 2001-2019
Linotte mélodieuse -8,1 tendance 2001-2019
Bec-croisé des sapins -3 tendance 2001-2019
Pinson des arbres +4,9 tendance 2001-2019
Grosbec casse-noyaux +63 tendance 2001-2019
https://www.vigienature.fr/sites/vigienature/files/atoms/files/syntheseoiseauxcommuns2020_final.pdf
Les fringillidés les plus couramment élevés ont -il les mêmes mœurs que le chardonneret élégant ?
Réponse par courriel du scientifique Michel Ottaviani
« Le comportement général et les mœurs sont assez homogènes chez tous les carduélinés (Carduelis, Serinus, Spinus...). En revanche, il y des différences notables dans le régime alimentaire. Ce sont tous essentiellement des granivores mais chaque espèce se nourrit préférentiellement sur certaines espèces de plantes. Les graines sont également sélectionnées selon la taille des becs. Par ailleurs, il existe des différences notables à la fois dans les mœurs et dans l'alimentation entre fringillinés (pinsons) et carduélinés. »
2 - Comment luttons-nous contre le braconnage en France ?
Mon hypothèse, selon les données historiques et scientifiques que j’ai pu lire, c’est que le braconnage était alors beaucoup plus important avant qu’aujourd’hui.
C'est l'élevage en milieu contrôlé qui permet de lutter contre le braconnage. Comme vu plus haut, majoritairement, les éleveurs français, affiliés aux fédérations françaises ornithologiques, détiennent la sous-espèce chardonneret élégant de Sibérie qui ne niche et ne migre pas en France. La sous-espèce "chardonneret major" est facilement différenciable, car c’est le plus grand des chardonnerets élégants. Les oiseaux nés en captivités sont généralement porteurs de variétés de couleurs domestiques.
Chardonneret : sauvé par l'élevage ? - Photo Kamel LATRECHE
ATTENTION : On lit parfois que les variétés de couleur chez le chardonneret seraient dû à l’accouplement avec le canari domestique.
C’est faux car ses hybrides interspécifiques appelés "mulet" sont non fertiles. C’est la sélection par l’homme qui a permis de créer des variétés de couleurs.
Ces éleveurs capacitaires et détenteurs de certificats d'établissement, pourraient participer à des programmes de renforcement de population de chardonneret élégant parva, issus de saisies, ou d’autres petits passereaux en voie de disparition avec des associations spécialisées.
Nous ne pouvons pas faire la politique de l’autruche en disant que le braconnage n’existe pas.
Mais notre rôle, à nous éleveurs et associations d'éleveurs, est également de donner la bonne information au grand public, sur la réalité du terrain sans la minimiser ou l’amplifier. La prévention et la pédagogie permettent de lutter contre le trafic et le braconnage du chardonneret élégant.
La sensibilisation que nous menons sur le terrain depuis plus de quinze ans porte ses fruits. C’est un combat difficile : on s’attaque à des pratiques culturelles. Il faut savoir toucher la sensibilité des acheteurs potentiels en les mettant en garde sur les risques encourus, et également sur la chute de population de chardonnerets élégants. Leur dire qu’ils mettent l’espèce en danger et que leurs petits-enfants ne pourront plus observer ce magnifique petit fringillidé dans la nature, car il aura disparu.
La solution à tout cela, c’est qu’ils passent leur certificat de capacité et élèvent des chardonnerets d’élevage, et ils pourront les "écoler" et leur apprendre le chant s’ils le souhaitent, mais là ils participeront à la conservation d’une espèce en captivité et pas à son déclin dans son milieu naturel.
Nous continuons à travers les réseaux sociaux ou directement sur le terrain à faire changer les mentalités et en sensibilisant la nouvelle génération.
Une des solutions aussi, c’est l’élevage conservatoire avec toute la rigueur que cela comporte.
Le peu d’espèces pures en captivité pourrait participer à un élevage de conservation, mais pour cela, il faudrait imposer des conditions strictes aux éleveurs :
— la conservation d’un bassin génétique de taille suffisante ;
— la non-sélection pour conserver les variabilités de l’espèce ou de la sous-espèce ;
— se rapprocher le plus possible des conditions dans leurs milieux naturels ;
— l’apprentissage du comportement pour plus de réussite d’une éventuelle réintroduction ou renforcement de population ;
— un suivi généalogique (la non-pratique de la consanguinité) ;
— Elevage seulement sous géniteur, la non pratique des traitements préventifs médicamenteux, la non pratique de l'hybridation inter et intraspécifique, la conservation de la variabilité des chants...
L’élevage conservatoire assure la pérennité des populations en captivité pour les espèces en voie d’extinction.
Contrairement à l’élevage de loisirs qui se limite à sélectionner des caractéristiques d’idéalisation d’un type basé sur des caractéristiques générales. L’élevage récréatif est intéressant d’où l’appellation de loisirs mais contrairement à l’élevage de conservatoire, il participe à la pollution génétique par la sélection de l’homme pour créer des variétés et des races (L’exemple le plus emblématique en est le serin des îles Canaries.)
Conclusion : Dans beaucoup de parutions, il y a confusion entre la situation au Maghreb et celle en France qui n’a rien avoir. Les saisies en France sont souvent des oiseaux capturés au Maroc et en Espagne. Il faut donc rester vigilants sur ce trafic, ce que font les associations ornithologiques ( CDE,UOF, FFO, EIE, EPPSA etc) . Mais ne pas mélanger cette situation avec l'élevage dit " conservatoire", pratiqué par les éleveurs titulaires d'une capacité validée par le Ministère de l'Agricutture ou de la Transition écologique. Et qui respectent la juridiction et favorisent le maintien de l' espèce et éduquent leurs members aux bonnes pratiques.
Kamel LATRECHE
Président de l'EIE ( Espèces Indigènes Exotiques)